Inspecteur, une profession méconnue et très diversifiée
Frédéric Lemasson, IA-IPR (inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique régional) de mathématiques, évoque la réalité multiple du métier d’inspecteur. Cette profession est passionnante, extrêmement diversifiée, riche en contacts humains, mais aussi très chronophage.
Frédéric Lemasson, IA-IPR (inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique régional) de mathématiques, évoque la réalité multiple du métier d’inspecteur. Il nous fait dépasser l’image de la personne sévère, assise au fond de la classe, qui assiste à une séance de cours et produit un rapport d’inspection. Cette profession est passionnante, extrêmement diversifiée, riche en contacts humains, mais aussi très chronophage.
Une évolution de carrière
Sa maîtrise de mathématiques pures en poche, Frédéric Lemasson réussit l’agrégation dans la foulée, en 1994. Après son année de stage au lycée Charles de Gaulle, à Dijon, il effectue des remplacements puis il occupe un poste fixe, dans ce même lycée. Il éprouve beaucoup de plaisir à enseigner, en collège comme en lycée.
Mais après vingt-cinq années d’exercice comme professeur, il souhaite passer à autre chose, va même jusqu’à envisager de changer de branche. C’était moins courant à l’époque ; des dispositifs facilitants ont été mis en place depuis… Il opte alors pour une évolution de carrière en interne et passe le concours d’inspecteur en 2019, après avoir effectué quelques missions ponctuelles qui lui ont plu. Dès l’année suivante, il se retrouve stagiaire sur le terrain, tout en suivant une formation à son nouveau métier ‒ pour le second degré mais interdisciplinaire ‒, dispensée à la fois par l’IH2EF (Institut des hautes études de l'éducation et de la formation), à Poitiers, soit l’équivalent de trois semaines complètes, et par son académie de rattachement où elle est pilotée notamment par le ou la DAFPE (délégué académique à la formation des personnels d'encadrement).
Il découvre alors une profession aux missions tellement diversifiées qu’elles réclament un travail de fourmi, très accaparant. Les IA-IPR veillent à la mise en œuvre de la politique éducative arrêtée par le Ministère, sous l'autorité du recteur ou de la rectrice. Tout un programme, en effet !
Le métier d’IA-IPR
Le terme d’inspecteur recouvre plusieurs réalités différentes. Au rectorat, le corps d’inspection compte des IA-IPR (inspecteurs d’académie inspecteurs pédagogiques régionaux), pour chaque discipline de collège et de lycée général ou technologique, et des IEN-ET-EG (inspecteurs de l’Éducation nationale pour l’enseignement technique et l’enseignement général), en voie professionnelle.
Dans le premier degré, les IA-DASEN (inspecteurs d’académie directeurs académiques des services de l’Éducation nationale), les IEN (inspecteurs de l’Éducation nationale) et les IEN-IO (chargés de l’information et de l’orientation) relèvent de la DSDEN (direction des services départementaux de l’Éducation nationale) de chaque département. Ils comptent des pôles spécialisés et un pôle pédagogique de conseillers départementaux (CPD), chargés d’accompagner les enseignants dans la déclinaison des programmes et des thématiques transversales impulsées par le Ministère et la DGESCO.
Les inspecteurs veillent à la mise en œuvre de la politique éducative arrêtée par le Ministère.
Frédéric Lemasson a bien du mal à énumérer toutes ses missions, tellement elles sont nombreuses. La partie émergée de l’iceberg relève du domaine des ressources humaines, dont les fameuses visites d’inspection et conseil, en classe. Mais tout inspecteur assume également la conception et l’animation de formations pédagogiques et l’accompagnement d’équipes dans les établissements. Il participe aussi à l’organisation des examens, ainsi qu’à l’évaluation collégiale des établissements scolaires mise en place en 2020.
Il choisit, ou le recteur lui confie, des missions transversales, comme l’accompagnement des projets NEFE (Notre école, faisons-la, ensemble), celle de correspondant académique pour les sciences et la technologie (CAST), ou le pilotage du Plan mathématiques second degré et l’implantation des laboratoires de mathématiques, en collaboration étroite avec les autres disciplines scientifiques. Contrairement aux idées reçues, ses activités relèvent souvent de l’interdisciplinarité et plus généralement du travail en équipe.
Pour le volet disciplinaire, un inspecteur est en relation avec l’Inspection générale, notamment lors de journées de formation en ateliers sur les dossiers d’actualité, ou pour des travaux préparatoires à la conception de documents relatifs aux réformes, éventuellement pour la gestion des professeurs agrégés de l’académie ou à propos des examens.
Au sein de l’institution, l’IA-IPR joue le rôle de « courroie de transmission » dans le sens montant comme dans le sens descendant. Il sert de relai auprès des professeurs de l’académie pour les informations émanant du Ministère ou de l’Inspection générale, mais aussi de chambre d’écho des éléments venant du terrain.
Volet RH
Les trois inspecteurs de mathématiques de l’académie de Dijon se répartissent équitablement le suivi d’environ 1200 professeurs de mathématiques, qui exercent en collège ou en lycée d’enseignement général et technologique. Ainsi chaque inspecteur évalue et accompagne 400 enseignants, répartis par zones géographiques. La gestion de professeurs en difficulté est rarissime, heureusement !
Au nombre des missions :
- les visites dans les classes (les fameuses « inspections », le recrutement d’établissements d’accueil, appelés « berceaux », et de tuteurs et tutrices pour accompagner les professeurs stagiaires en mathématiques, une trentaine chaque année), les inspections de titularisation ;
- les entretiens de rendez-vous de carrière, qui ont une incidence sur la rapidité d’avancement et donc sur la rémunération des professeurs (à l'issue des deux premiers rendez-vous des 6e et 8e échelons, les agents peuvent bénéficier d'un gain d'un an sur la durée de l'échelon ; le troisième, au 9e échelon, sert également à déterminer le moment plus ou moins précoce de passage à la hors-classe ou la promotion à la classe exceptionnelle, au mérite pour des actions remarquables) ;
- l’accompagnement des professeurs désireux d’évoluer dans leur carrière (prise en charge de missions spécifiques, comme l’animation de formations, la participation à des groupes de travail ou la valorisation de la discipline, voire reconversion, comme chef d’établissement ou inspecteur, par exemple).
Animation de formations initiales, continues et par alternance
La conception et l’animation de formations, par demi-journées, en réponse à la commande institutionnelle, l’occupe environ dix jours par an et occasionne de nombreux déplacements. Leurs thématiques se rapportent aux réformes ministérielles ou aux orientations académiques (la mise en place des groupes de besoins, par exemple, ou le Plan mathématiques au collège). D’autres actions de formations sont initiées par les inspecteurs. Elles s’adressent aux stagiaires qui ont été reçus au concours d’enseignement mais aussi aux contractuels recrutés par le biais de France travail, ainsi qu’aux professeurs titulaires, dans le cadre de leur formation continue. S’ajoutent des formations de formateurs et la préparation du plan académique de formation. Cela requiert des compétences en termes d’animation et de coordination d’équipes, de conduite du changement ou de travail en réseau.
Organisation des examens
La gestion des examens le monopolise en juin-juillet. Mais elle s’échelonne bien en amont, dès l’automne, avec le pilotage éventuel d’une équipe de conception de sujets nationaux, à la demande du SIEC (Service inter-académique des examens et concours, dont le site d’Arcueil est appelé Maison des examens), validés ensuite par l’Inspection générale, ou le pilotage des examens pour des candidats isolés (candidats libres). Sans oublier l’identification, en mars, parmi les enseignants, des personnes indisponibles pour la correction.
Évaluation des établissements scolaires
Chaque établissement est évalué une fois tous les cinq ans, par une équipe pluri-catégorielle et pluri-disciplinaire dans le but d'améliorer le service public d'enseignement scolaire, la qualité des apprentissages des élèves, leurs parcours de formation et d'insertion professionnelle, leur réussite éducative et leur vie dans l'établissement.
Frédéric Lemasson y consacre deux semaines par an, pour deux établissements. Cette mission, menée en interdisciplinarité, concerne quatre domaines :
- les enseignements : apprentissages, parcours et résultats des élèves ;
- la vie dans l’établissement : vie et bien-être des élèves et climat scolaire ;
- la partie administrative : acteurs, stratégie et fonctionnement ;
- l’établissement dans son environnement institutionnel et partenarial.
Le CAST
Le recteur lui a confié tout récemment la mission de correspondant académique pour les sciences et la technologie (CAST), pilotée par la DGESCO, qui accompagne pédagogiquement les actions de culture scientifique adossées aux enseignements scientifiques (mathématiques, sciences de la vie et de la Terre, physique-chimie, sciences et techniques industrielles, technologie). Le but est la valorisation des sciences auprès de tous les élèves, dans les premier et second degrés, la lutte contre les inégalités filles-garçons et contre les inégalités sociales, en nouant des partenariats (pour l’intervention de chercheurs et de scientifiques), en participant à des concours (CGénial ou les olympiades, par exemple). Frédéric Lemasson en est encore au tuilage avec son prédécesseur. Rendez-vous dans un an pour faire le bilan de la première année de son action…
Une journée ou une semaine type
Selon Frédéric Lemasson, il est impossible de décrire la journée ou la semaine type d’un inspecteur. Il souscrit totalement à la parole d’une de ses formatrices, Claude Valtat, qui disait : « Nos missions sont tellement variées que je ne peux même pas vous dire ce que j’ai fait hier. »
Il reprend son agenda pour lister ses activités : des réunions, dans les départements ou au rectorat, en présentiel ou en visio avec ses pairs ou sa hiérarchie, des CAPA, des webinaires dans le cadre de la formation continue, des rendez-vous avec les différents services du rectorat, des prises de contact, des échanges, des entretiens et des concertations avec ses collègues, avec des professeurs ou des chefs d’établissement de l’académie, des déplacements en représentation dans les départements pour des événements ou des projets (proposition d’implantation d’un laboratoire de sciences sur le TER de La Machine, dans la Nièvre, où se trouve l’école du socle) qui valorisent la discipline, des visites en classe ou en établissement, la remise de prix (pour le concours CGénial), la préparation du plan académique de formation, la conception (diaporama) ou l’animation des formations, la gestion des formateurs, des tuteurs, des stagiaires, des titulaires, des contractuels, l’écriture des rapports d’inspection ou de titularisation, des interventions dans le cadre du plan pour réduire les inégalités entre les filles et les garçons en mathématiques ou pour mettre en place des communautés d’apprentissage, le recrutement de contractuels avec France travail, dans chacun des départements…
Ce qui est chronophage, c’est surtout la gestion de la messagerie professionnelle. Lui-même s’efforce de sanctuariser une demi-journée par semaine, en télétravail, pour rattraper son retard sur les dossiers, quasiment incompressible.
Nos missions sont tellement variées que je ne peux même pas vous dire ce que j’ai fait hier.
L’attractivité du métier, ses atouts
Ce qui passionne Frédéric Lemasson dans l’exercice de ce métier, c’est la très grande diversité de ses missions et surtout le volet « ressources humaines » avec les enseignants et, plus généralement, la richesse et la variété des relations humaines, des contacts, des rencontres et des partenariats, ainsi que le travail en équipe et en interdisciplinarité.
Un inspecteur disciplinaire n’a pas d’autre choix que de sortir de sa discipline.
La coopération, il la vit avec ses collègues inspecteurs, en premier lieu ceux de mathématiques. Les IA-IPR mènent, en effet, un travail d’équipe pour décliner les orientations ministérielles et académiques mais également faire état des réalisations sur le terrain qui pourraient valoriser leur discipline.
La coopération avec les acteurs du premier degré le remplit de joie ; elle participe de la continuité inter-degrés indispensable, souvent peu visible. En effet, l’organisation hiérarchique et le fonctionnement y sont très différents, ainsi que les approches pédagogiques et didactiques. Il sait qu’il trouvera toujours l’occasion de de ce partage réciproque. Pour les élèves qui, parfois, n’ont qu’une cour de récréation à traverser, ces liens sont primordiaux car les enjeux sont énormes. Il s’efforce, avec ses collègues inspecteurs du premier degré, d’accompagner les personnels à travers la mise en place de rencontres sur des thématiques transversales, comme les communautés d’apprentissage ou l’égalité entre les filles et les garçons.
Il aime également coopérer avec les chefs d’établissement qu’il a découverts sous un autre jour, ainsi qu’avec tous les autres partenaires (universitaires, IREM, etc.). Il apprécie aussi la grande souplesse dans la gestion de son agenda.
Le Plan mathématiques
Quels leviers trouver pour améliorer l’image des mathématiques et les résultats des élèves (jugés insuffisants dans les évaluations nationales comme internationales) ?
Le Plan mathématiques, lancé suite au rapport Villani-Torossian de 2018, œuvre à la formation des enseignants du premier degré et des référents départementaux (formations entre pairs pour 100% des enseignants en six ans, qui correspond à la mesure 15 du rapport). Basée sur la concertation, cette modalité de travail en réseau se veut en prise directe avec les besoins des élèves et des enseignants. Elle conduit à renouveler le lien entre enseignants et formateurs.
Frédéric Lemasson pilote le dispositif équivalent pour le second degré, qui a pour objectif d’améliorer les performances mathématiques et la culture scientifique des élèves, mais aussi de valoriser l’image des mathématiques, en particulier pour inciter les jeunes ‒ les filles comme les garçons ‒ à s’engager dans des carrières scientifiques.
Les laboratoires de mathématiques
Le Plan mathématiques est directement lié à la mise en place des laboratoires de mathématiques (mesure 16 du rapport), axés sur :
- la formation entre pairs ;
- l’ouverture vers les autres disciplines ;
- les échanges avec les établissements de secteur et les écoles pour renforcer la liaison inter-degrés ;
- la valorisation de la discipline, par exemple lors de la semaine des mathématiques.
Dans ce contexte, vingt laboratoires de mathématiques ont déjà été créés dans l’académie de Dijon et un laboratoire a été ouvert au lycée international Jean-Mermoz d’Abidjan, dans le cadre du partenariat de l’académie avec la Mission laïque française (MLF). Ces laboratoires ne disposent pas toujours d’un lieu physique, même s’il est préférable qu’il y ait une salle dédiée. Mais il s’agit à chaque fois d’un projet à l'échelle de l'établissement et de son territoire, d’une structure didactique et pédagogique, lieu d'échanges de pratiques et de réflexion disciplinaire et didactique, lieu de formation entre pairs, de production de ressources, d'expérimentation pour les enseignants de mathématiques, en coordination avec les équipes des autres disciplines et avec les référents pédagogiques du premier degré, qui vise à accroître l'efficience de l'enseignement à destination des élèves et des étudiants.
Des outils en ligne (espaces de partage) facilitent les échanges entre les différents laboratoires de l’académie.
Devenir inspecteur ?
Interrogé sur les conseils à donner à une personne qui souhaiterait devenir inspecteur ou inspectrice, Frédéric Lemasson hésite : il s’agit d’une décision très personnelle. Lui-même ne se sent pas forcément représentatif de la profession. Il peut donner des pistes, des encouragements. Mais il insiste surtout sur le fait d’être honnête et transparent. Il ne veut pas édulcorer les difficultés, même si le métier présente certains avantages.
L’image véhiculée par le métier d’inspecteur est, en effet, souvent antipathique ; il en a pris son parti. Son quotidien est bien sûr rythmé par le renseignement de tableaux Excel et des imprévus incessants. Le métier est très chronophage ; on peut y laisser des plumes si on ne fait pas attention à ne pas travailler « non-stop ».
Mais il permet de dépasser le cadre et de s’enrichir des pratiques des autres acteurs de l’éducation. Frédéric Lemasson aime beaucoup cette absence de cloisonnement et les liens avec le premier degré, notamment, le passionnent.
Portrait chinois
Un inspecteur est comme une fourmi. Selon Frédéric Lemasson, la fourmilière caractérise bien son métier : on travaille tous dans le même sens pour l’institution, avec un devoir de loyauté. Comme les fourmis, on fait corps. Il faut que ça avance. Une fourmilière ne s’arrête jamais. À cet égard, lui et ses collègues IA-IPR se montrent solidaires, se remplacent l’un l’autre, au pied levé, en cas d’indisponibilité impérative de dernière minute.
Le métier d’inspecteur est un travail de fourmi.
L’accès au corps des inspecteurs se fait par concours :
- sur épreuves prenant en compte l’expérience et la formation préalable
- sur titres
Le concours est ouvert par spécialité. Pour pouvoir faire acte de candidature, il faut être fonctionnaire titulaire (différents corps compatibles), et justifier d’une ancienneté de cinq ans. Une préparation au concours est proposée par le rectorat.
- Antoine Gaillard, CPE au Lycée des métiers Vauban à Auxerre
- Olivier Aillaud, un enseignant passionné aux mille vies professionnelles
- Audrey Sigoillot, une archiviste dynamique et passionnée qui dépoussière l'image du métier !
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Mise à jour : mai 2024